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En ce début d’année, nous sommes souvent portés par l’élan des bonnes résolutions, cette volonté de reprendre les rênes de notre quotidien. L’année dernière, dans Le Chemin des Routines Choisies et Libératrices, je vous invitais à réfléchir à des habitudes qui restaurent le contrôle et offrent une véritable liberté intérieure.

Et si nous allions plus loin dans cette réflexion ? Alors que 2025 débute, nombreux sont ceux qui ressentent un mélange d’espoir fragile et d’inquiétude persistante. Les crises climatiques, les bouleversements sociaux et l’accélération vertigineuse des transformations technologiques peuvent nous donner l’impression de vivre dans un monde où il est difficile de se projeter. Ces incertitudes nourrissent nos peurs : peur de l’avenir, de l’instabilité, ou même de notre propre vulnérabilité.

Dans ces moments, les prédateurs prospèrent. Ils exploitent ces périodes d’instabilité pour renforcer leur emprise, séduire par des promesses de solutions rapides ou manipuler nos fragilités. Cette dynamique ne se limite pas aux individus, mais touche aussi les groupes, les communautés et même les sociétés. Pourtant, il existe une arme puissante pour les contrer : nos valeurs.

Lorsque nous nous connectons à nos valeurs les plus profondes, nous renforçons nos défenses. Défendre des valeurs authentiques, c’est non seulement protéger notre propre intégrité, mais aussi reconnaître plus rapidement les signaux d’alerte face à des comportements manipulateurs ou coercitifs. C’est également veiller sur les autres : nos proches, nos amis, nos voisins, parfois plus vulnérables face à ces dynamiques d’emprise. Nos valeurs deviennent alors un socle solide, non seulement pour nous-mêmes, mais pour la communauté autour de nous.

Et si cette année, nous choisissions de rêver plus grand ? Non pas en allongeant la liste des tâches, mais en faisant de nos valeurs un phare pour éclairer notre chemin et celui des autres. Et si, au lieu de céder à nos peurs, nous les utilisions comme un levier ? Ces craintes, loin de nous paralyser, peuvent nous motiver à agir différemment, à nous reconnecter à ce qui compte vraiment. Imaginez que 2025 devienne un point de départ : non seulement pour vivre avec intention, mais aussi pour créer un environnement où l’emprise des prédateurs s’affaiblit, car leurs opportunités se réduisent face à des individus et des communautés ancrés dans leurs valeurs et reliés aux autres.

Inspirée par les travaux d’Ari Wallach sur le Longpath – cette vision à long terme qui transcende l’instantanéité – cette réflexion nous invite à dépasser la peur et l’immédiat. Nos valeurs ne sont pas seulement des repères, elles sont des catalyseurs d’action. En ancrant nos choix dans nos valeurs, nous réduisons le risque de manipulation et contribuons à bâtir un avenir plus sûr, plus lucide, et plus juste pour tous.

Dans cet article, nous allons explorer comment nos valeurs peuvent non seulement élargir notre champ de vision et renforcer notre résilience, mais aussi nous aider à identifier les dynamiques de pouvoir nocives et à protéger ceux qui nous entourent. Une invitation à façonner 2025 comme un tremplin vers un avenir non seulement plus grand, mais aussi plus solidaire et résistant face à l’emprise.

Qu’est-ce qu’une valeur ?

Les valeurs sont les principes fondamentaux qui orientent nos actions et nos décisions. Elles expriment ce qui compte le plus pour nous et ce qui donne un sens à notre vie. Contrairement à des résolutions ou des objectifs à court terme, les valeurs sont durables et transcendent les contextes, nous offrant une boussole morale dans un monde souvent complexe.

Prenons quelques exemples concrets :

  • La bienveillance : Une personne guidée par cette valeur cherchera à cultiver des relations harmonieuses et à aider les autres, à travers des gestes simples comme écouter attentivement ou des engagements plus larges, comme le bénévolat.
  • La justice : Quelqu’un pour qui cette valeur est centrale s’efforcera de défendre l’équité et les droits des autres, que ce soit en dénonçant une injustice ou en soutenant activement des causes sociales.
  • L’intégrité : Une personne valorisant l’intégrité fera de son mieux pour rester honnête et fidèle à ses principes, même dans des situations difficiles.
  • La gratitude : Ceux qui chérissent la gratitude s’efforcent de reconnaître et d’apprécier ce qu’ils ont, en exprimant régulièrement leur reconnaissance envers les autres.

Pourquoi les valeurs sont-elles importantes ?

Les valeurs agissent comme des repères lorsque nous sommes confrontés à des choix difficiles ou à des situations d’incertitude. Par exemple, face à un dilemme moral ou à une tentation à court terme, une personne qui reste ancrée dans ses valeurs sera plus à même de prendre une décision fidèle à ses principes, réduisant ainsi les risques de regrets futurs.

De plus, elles favorisent une plus grande cohérence entre nos pensées, nos paroles et nos actes. Cette cohérence renforce non seulement notre propre intégrité, mais également la confiance que les autres nous accordent.

Identifier ses valeurs

Découvrir ou clarifier ses valeurs peut sembler un exercice complexe, mais c’est une étape essentielle pour vivre en cohérence avec soi-même. Nos valeurs sont comme des phares, éclairant nos décisions dans les moments d’incertitude. Plusieurs outils simples peuvent nous aider à mieux comprendre ce qui compte vraiment pour nous :

1. La réflexion sur les moments marquants :
Pensez à des épisodes où vous vous êtes senti pleinement en accord avec vous-même. Quelles étaient les circonstances ? Quels principes guidaient vos actions à ce moment-là ?

Exemple : Vous avez peut-être ressenti une immense fierté en aidant un ami dans le besoin. Cela peut indiquer que la générosité ou la solidarité sont des valeurs importantes pour vous.

2. L’exercice des contraires :
Imaginez une situation qui vous met profondément mal à l’aise ou en conflit. Ces sentiments révèlent souvent une valeur importante pour vous qui a été violée ou ignorée.

Exemple : Vous vous êtes senti frustré en observant une injustice ou une absence de reconnaissance au travail. Cela peut signaler que la justice ou le respect sont des valeurs essentielles pour vous.

3. Les listes de priorités :
Prenez un moment pour noter dix choses essentielles dans votre vie et classez-les par ordre d’importance. Ce processus simple peut faire émerger vos valeurs fondamentales.

Exemple : Si « passer du temps en famille » est en haut de votre liste, cela reflète une priorité pour les liens familiaux ou l’amour.

Une fois vos valeurs identifiées, elles deviennent des repères fiables pour vos choix et vos actions, vous aidant à vivre de manière plus intentionnelle et satisfaisante.

Alice Herz-Sommer : Une vie guidée par les valeurs

Pour illustrer cette réflexion, je tiens à partager une histoire inspirante : celle d’Alice Herz-Sommer, pianiste centenaire et survivante de la Shoah. Pendant son internement au camp de Theresienstadt, elle a donné plus de cent concerts, utilisant la musique comme un refuge, une résistance à l’horreur et une source de résilience.

Malgré des circonstances inimaginables, Alice a choisi de s’ancrer dans des valeurs fondamentales : la gratitude, la discipline et l’amour de la musique. La gratitude, en particulier, était au cœur de sa philosophie de vie. Elle voyait la musique non seulement comme un talent à partager, mais aussi comme un moyen de maintenir sa dignité et de transmettre de l’espoir à ceux qui l’entouraient.

Après la guerre, elle a continué à enseigner la musique avec une même passion, incarnant ces valeurs au quotidien. Ses mots, « Tout est un cadeau », traduisent une profonde connexion à ce qui lui donnait un sens dans la vie, même dans les moments les plus sombres.

L’histoire d’Alice nous rappelle que se reconnecter à ses valeurs ne signifie pas seulement survivre, mais aussi transcender les adversités pour trouver de la force et inspirer les autres. Sa vie témoigne de la manière dont des choix ancrés dans des valeurs profondes peuvent créer un héritage durable, une lumière dans les périodes les plus obscures.

Relier nos valeurs au futur : une perspective transgénérationnelle

Alice Herz-Sommer incarne une vérité essentielle : nos valeurs peuvent dépasser notre existence individuelle pour éclairer les générations futures. Son héritage de résilience et de gratitude continue d’inspirer, bien après sa vie.

Mais comment, dans notre propre quotidien, pouvons-nous agir pour que nos valeurs transcendent notre temps ? Le Longpath, concept développé par Ari Wallach, propose une manière de relier nos choix présents à leur impact sur les générations futures.

Plutôt que de répondre uniquement aux défis immédiats, le Longpath nous invite à considérer chaque action comme une pierre angulaire pour construire un avenir collectif. Cette vision transgénérationnelle nous pousse à réfléchir à l’impact de nos décisions, en créant une continuité entre nos choix d’aujourd’hui et les bénéfices qu’ils apporteront à ceux qui nous suivront.

Les Concepts Clés du Longpath

Le Longpath repose sur trois piliers majeurs, qui élargissent les horizons temporels habituels pour encourager une planification à long terme et une action guidée par des valeurs durables :

1. L’empathie transgénérationnelle
Ce concept nous invite à reconnaître que nos actions d’aujourd’hui ont un impact sur des générations que nous ne connaîtrons jamais. Il repose sur une responsabilité partagée envers un futur collectif.

Exemple : Adopter des pratiques écologiques, non pas pour un bénéfice immédiat, mais pour préserver les ressources des générations à venir.

2. La pensée prospective
Cette pratique consiste à imaginer activement des futurs possibles, à évaluer les conséquences à long terme de nos choix, et à ajuster nos actions en conséquence. Elle repose sur trois étapes clés :

    • Imaginer des scénarios futurs : Envisagez plusieurs avenirs possibles et réfléchissez aux éléments qui pourraient influencer votre vie ou celle des générations futures. Par exemple : « Comment mes choix d’aujourd’hui façonneront-ils mon quotidien dans cinq ans?« 
    • Analyser les conséquences : Évaluez les implications à court, moyen et long terme de vos décisions. Par exemple, choisir une alimentation plus durable peut non seulement améliorer votre santé, mais aussi réduire votre empreinte carbone.
    • Ajuster nos actions présentes : Adoptez des comportements en accord avec la vision à long terme que vous souhaitez réaliser. Investissez temps et énergie dans des projets qui résonnent avec vos objectifs futurs.

En cultivant cette pensée prospective, nous passons d’un mode réactif à un mode proactif, où chaque décision est guidée par une vision claire et intentionnelle.

3. Le self-as-ancestor (se percevoir comme un ancêtre)
Ce concept puissant nous invite à nous demander quel type d’héritage nous souhaitons laisser. En nous percevant comme des ancêtres en devenir, nous pouvons orienter nos actions actuelles pour qu’elles reflètent nos valeurs les plus profondes.

Posez-vous cette question : « Est-ce que mon moi du futur serait fier de mes décisions d’aujourd’hui? »
Prenez un moment pour imaginer votre vie dans 50 ans :

    • Où êtes-vous ?
    • Que ressentez-vous en repensant à vos actions passées ?
    • Visualisez l’impact que vos choix actuels ont eu sur vous-même, vos proches et le monde.

En cultivant cette perspective, nous renforçons notre responsabilité et trouvons une motivation durable pour aligner nos actions sur un avenir qui dépasse notre propre existence.

Pourquoi avons-nous besoin d’une vision ?

Une vision claire agit comme une boussole. Sans direction, nous devenons vulnérables aux influences extérieures ou aux promesses de solutions rapides. Avec une direction, nous gagnons en ancrage, en confiance et en résilience face aux épreuves.

Les chercheurs, dont Jamil Zaki, mettent en lumière les effets positifs d’une vision transcendant nos préoccupations immédiates. Cultiver des valeurs et des objectifs transcendants réduit le cynisme et renforce le lien avec les autres. Agir en accord avec une vision plus large active des circuits neuronaux liés au bien-être, comme ceux de la dopamine et de l’ocytocine, renforcent ainsi notre sentiment de connexion et d’accomplissement.

Pourquoi faire des efforts ?

J’entends souvent des personnes me dire : « Pourquoi faire des efforts ? Pourquoi penser à long terme quand tant d’autres, y compris les gouvernements, semblent indifférents ? » Cette réaction, bien qu’elle puisse sembler désabusée, est une réponse légitime face à l’immensité des défis actuels.

Mais Jamil Zaki, dans son livre Hope for Cynics, offre une perspective différente. Ses recherches révèlent que 85 % de la population mondiale aspire à vivre en paix, à construire un monde meilleur et à se sentir connectée aux autres. Ces voix, souvent silencieuses, forment la véritable majorité. À l’inverse, les 15 % restants, qui attirent l’attention par leur bruit ou leur apathie, ne reflètent pas la réalité profonde de l’humanité.

En agissant selon nos valeurs, nous rejoignons cette majorité silencieuse. Les neurosciences montrent que des gestes simples – recycler, se porter volontaire, ou travailler pour un objectif qui nous dépasse – activent les circuits de récompense du cerveau, libérant dopamine et ocytocine. Ces hormones renforcent notre sentiment de bien-être, de connexion et de satisfaction.

Nos actions individuelles deviennent alors des invitations collectives. En montrant l’exemple, même par de petits pas, nous inspirons ceux qui nous entourent et participons à transformer les mentalités, les structures et les systèmes.

Alors, pourquoi faire des efforts ? Parce que chaque geste, aussi modeste soit-il, contribue à un tout plus grand. Parce qu’en agissant, nous incarnons l’espoir et donnons du sens à nos vies. Et parce qu’un jour, nous pourrons regarder en arrière et nous dire : « J’ai contribué à rendre le monde meilleur, à ma manière. »

Mais pourquoi est-il parfois si difficile de se projeter et d’agir pour un avenir qui semble lointain ? La réponse se trouve dans notre cerveau.

Pourquoi notre cerveau privilégie-t-il le court terme ?

Les neurosciences expliquent pourquoi il est souvent difficile de penser à long terme. Notre cerveau, façonné par des milliers d’années d’évolution, est câblé pour répondre aux menaces immédiates et rechercher des gratifications rapides. Bien que cela ait été utile pour nos ancêtres face à des dangers imminents, cette tendance peut nous limiter dans un monde moderne où la réflexion à long terme est essentielle.

Le biais de présent : Ce phénomène, mis en évidence par Daniel Kahneman, montre que nous valorisons les récompenses immédiates au détriment des bénéfices futurs. Par exemple, acheter un objet qui procure une satisfaction instantanée semble plus attrayant qu’économiser pour sa retraite. Ce biais s’exprime également dans notre rapport au temps : nous privilégions le plaisir d’aujourd’hui, même si cela compromet des objectifs importants.

Le rôle du cortex préfrontal : Cette région du cerveau, responsable de la planification et de l’imagination, est cruciale pour penser à long terme. Cependant, elle consomme beaucoup d’énergie cognitive. Sans une intention claire ou une motivation forte, notre cerveau tend à revenir à des comportements automatiques et à court terme, comme vérifier notre téléphone ou remettre à plus tard des tâches importantes.

Le défi du temps abstrait : Les recherches en neurosciences cognitives indiquent que notre cerveau éprouve des difficultés à se représenter des événements futurs lointains. Il est ainsi plus aisé de se concentrer sur un rendez-vous prévu pour demain que de planifier une stratégie pour les dix prochaines années. Ces limitations rendent la vision à long terme particulièrement exigeante.

Cependant, ces défis ne sont pas insurmontables. En comprenant ces mécanismes, nous pouvons mettre en place des stratégies simples pour aligner nos actions présentes avec nos aspirations à long terme et rester fidèles à nos valeurs. Voici comment :

  1. Créer des ancrages émotionnels : Reliez vos objectifs futurs à des valeurs qui comptent pour vous, afin de les rendre plus tangibles et motivants.
  • Exemple pratique : Si vous souhaitez courir un marathon, cela peut refléter votre attachement à la discipline, à la santé ou à la persévérance. Imaginez-vous franchissant la ligne d’arrivée, entouré de vos proches, avec un sentiment de fierté et d’accomplissement. Cette visualisation transforme une idée abstraite en une aspiration concrète et motivante.
  • Autre exemple : Si votre objectif est de financer les études de vos enfants, visualisez-les obtenant leur diplôme et les opportunités que cela leur offrira. Ces images positives donnent une dimension émotionnelle forte à vos efforts.

 

  1. Fragmenter les objectifs : Transformez une vision abstraite en étapes concrètes et atteignables, directement liées à vos valeurs.
  • Exemple pratique : Si la sécurité financière est une valeur clé pour vous, commencez par économiser 50 € par mois pour constituer un fonds d’épargne ou un budget pour des projets familiaux. Ce découpage rend l’objectif moins intimidant et plus accessible.
  • Autre exemple : Si vous voulez contribuer à une cause collective, commencez par un engagement modeste, comme donner une heure par semaine à une association locale. À mesure que vous observez les effets positifs, vous serez encouragé à en faire davantage.

 

  1. Récompenser les petits pas : Célébrez chaque avancée pour maintenir votre motivation sur le long terme.
  • Exemple pratique : Si vous valorisez l’entraide, reconnaissez les changements que vous avez contribué à créer, comme un moment où un voisin a pu bénéficier de votre aide ou où un enfant de l’association que vous soutenez a accompli quelque chose grâce à vous. Ces moments renforcent votre engagement et alimentent votre envie de continuer.
  • Autre exemple : Après avoir atteint une étape dans vos efforts personnels, comme une course d’entraînement réussie pour un marathon, offrez-vous un moment de célébration pour ancrer ce sentiment de réussite.

En reconnaissant ces biais naturels et en mettant en place des stratégies adaptées, nous pouvons surmonter les limitations de notre cerveau et agir avec intention pour bâtir un avenir cohérent avec nos valeurs.

Qu’est-ce qui nous permet de penser au-delà de nous-mêmes ?

Si notre cerveau semble privilégier le court terme, il est également porteur d’une aptitude fascinante : celle de penser au futur, au-delà de soi. Cette capacité est ancrée dans notre biologie mais aussi dans notre histoire culturelle et sociale. Elle nous rappelle que l’humain, bien que contraint par son héritage évolutif, possède un potentiel remarquable pour transcender ses limitations biologiques.

Imaginez une petite maison en pierre dans une rue étroite de Paris, à la fin du XIXe siècle. À l’intérieur, Émile Zola, assis à son bureau, écrit les mots qui marqueront l’histoire : J’accuse…! Dans cette lettre ouverte, il prend un risque immense pour défendre Alfred Dreyfus et dénoncer une injustice flagrante. Zola savait qu’il risquait tout, mais il a choisi de s’engager pour un idéal qui le dépassait, pour une société plus juste. Ses écrits n’étaient pas seulement pour son temps, mais pour toutes les générations à venir, un rappel de la puissance des mots face à l’injustice.

Cette capacité de penser au-delà de soi, de se projeter dans un futur qui ne nous bénéficiera peut-être pas directement, est fascinante. Elle est rare dans le règne animal et pourtant profondément ancrée dans l’humanité. Mais d’où vient-elle ?

Les bâtisseurs de cathédrales et les luttes sociales

Les bâtisseurs de cathédrales travaillaient des décennies, souvent sans voir l’œuvre achevée. Leur motivation allait au-delà d’un simple travail : ils œuvraient pour un héritage spirituel et culturel destiné à inspirer les générations futures.
En France, Victor Hugo reste une figure emblématique de la lutte pour la justice sociale et l’éducation pour tous. À travers ses œuvres comme Les Misérables, il dénonçait les inégalités de son époque tout en appelant à des réformes porteuses d’espoir pour les générations futures. Il ne pensait pas uniquement à sa génération, mais à toutes celles qui suivraient. Ces combats pour l’éducation et la justice sociale restent cruciaux et nous rappellent l’importance de poursuivre ces idéaux dans nos actions présentes et futures. Cette aspiration à un avenir meilleur trouve un écho dans les idées progressistes de son temps, comme celle de Louis-Charles Jourdan, qui écrivait dans Le Siècle : « Ouvrir une école aujourd’hui, c’est fermer une prison dans vingt ans ». Ces réflexions, largement popularisées, témoignent de l’importance accordée à l’éducation comme levier pour bâtir une société plus juste et équitable.
De même, les suffragettes qui se sont battues pour le droit de vote des femmes, ou Martin Luther King Jr. dans son combat pour les droits civiques, savaient qu’ils ne verraient peut-être pas les fruits de leurs luttes. Ces exemples historiques montrent comment des valeurs profondes peuvent transcender nos intérêts immédiats et nous pousser à agir pour un avenir collectif.

Ainsi, nos valeurs culturelles et sociales façonnent notre capacité à imaginer et construire un avenir collectif. Dans cette optique, les principes du Longpath, développés par Ari Wallach, prennent tout leur sens. Ce concept invite à envisager nos choix présents en fonction de leur impact transgénérationnel, à agir non pas seulement pour nous-mêmes mais pour un avenir collectif durable. Les valeurs deviennent alors le socle d’une vision à long terme, guidant nos actions au-delà des contraintes du quotidien.
Mais cette aptitude trouve également ses racines dans les mécanismes de notre cerveau.

Le rôle du cerveau dans cette projection

Comme mentionné précédemment, le cortex préfrontal est une région clé du cerveau, responsable des fonctions exécutives comme la planification et l’anticipation de scénarios futurs. Cette aptitude, qui nous distingue, ne se limite pas à la gestion quotidienne : elle soutient également notre capacité à imaginer un avenir qui bénéficie à nos proches et aux générations futures. Cependant, cette réflexion à long terme est souvent influencée par des facteurs sociaux et culturels, comme les valeurs ou les idéaux transmis au sein des communautés.

De plus, la mémoire épisodique prospective, qui s’appuie sur des souvenirs passés pour imaginer des événements futurs, est un outil puissant dans la planification. Par exemple, si nous avons ressenti la satisfaction d’atteindre un objectif important, cette expérience devient une ressource motivante pour investir dans des actions porteuses d’avenir.

En combinant ces mécanismes cérébraux à des éléments culturels et émotionnels, l’humain est capable d’agir non seulement pour ses besoins immédiats, mais pour construire un futur en cohérence avec ses valeurs et aspirations.

La culture, la philosophie et l’altruisme

Les humains ont développé des systèmes culturels et philosophiques qui encouragent à penser au-delà du présent. Aristote, par exemple, parlait de l’eudaimonia, un mot souvent traduit par « accomplissement » ou « épanouissement ». Pour lui, ce bonheur durable naît d’actions guidées par des valeurs éthiques et des objectifs qui donnent du sens à nos vies. Ces idées, exprimées dans L’Éthique à Nicomaque, ont traversé les siècles et continuent d’inspirer des générations à réfléchir à ce qu’elles peuvent construire pour le bien commun.

Ces systèmes – qu’il s’agisse de philosophies, de religions ou d’idéologies – ont poussé l’humanité à dépasser ses besoins immédiats. Ils nous rappellent que nos choix présents peuvent influencer le monde que nous laisserons à ceux qui viendront après nous.

Il est captivant de constater que l’altruisme existe aussi chez certaines espèces animales, comme les éléphants ou les dauphins. Mais chez les humains, cette capacité prend une ampleur particulière grâce au langage et à la transmission culturelle. Nous sommes capables de collaborer, d’imaginer ensemble et de nous unir autour de projets qui transcendent nos vies individuelles. Des mouvements sociaux aux grandes avancées environnementales, ces efforts collectifs témoignent de notre aptitude à agir pour un avenir commun.

Pourquoi est-ce essentiel aujourd’hui ?

Dans un monde confronté à des défis majeurs, cette capacité à penser au-delà de nous-mêmes est plus importante que jamais. Les valeurs et le Longpath deviennent des outils essentiels pour guider nos choix et renforcer notre résilience collective. Elles nous invitent à réfléchir à ce que nous voulons laisser aux générations futures : un environnement préservé, des droits garantis, une société plus équitable.

Cultiver cette capacité demande de relier les apports de la biologie et de la culture, mais surtout d’oser poser une question essentielle : Que voulons-nous laisser aux générations futures ?

Conclusion : une invitation à bâtir l’avenir

Bien que nous ne puissions pas tout contrôler dans ce vaste monde, nos choix et nos actions, même les plus modestes, tracent les sentiers que nous empruntons chaque jour. Chaque geste, chaque décision guidée par nos valeurs, est une graine semée dans le champ de l’avenir. Ces graines, discrètes et invisibles à l’œil nu, portent en elles la promesse de devenir un jour des forêts, des refuges, des sanctuaires pour ceux qui viendront après nous.

Nos valeurs sont les étoiles silencieuses qui illuminent nos nuits les plus sombres. Elles nous rappellent que, malgré l’incertitude, nous avons toujours le pouvoir de choisir d’avancer avec intention, d’incarner l’espoir et de transmettre un héritage empreint de sens.

Et n’est-ce pas là, dans ce fil tendu entre aujourd’hui et demain, que réside notre humanité ? La capacité de rêver un monde meilleur, d’imaginer des horizons que nous ne verrons peut-être jamais, mais que nous façonnons avec amour et courage pour les générations à venir.

Alors, à l’aube de cette nouvelle année, prenez un instant pour réfléchir : Quelles valeurs souhaitez-vous ancrer dans vos actions? Quel héritage voulez-vous laisser? Car chaque pas, chaque geste, aussi infime soit-il, construit les fondations d’un avenir éclairé par vos choix.

Bonne année 2025. Que cette année vous offre l’occasion de cultiver ce qui compte vraiment et de marcher chaque jour dans la lumière de vos valeurs.

Pour en savoir plus :

Articles scientifiques

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Froh, J. J., Sefick, W. J., et Emmons, R. A. « Counting Blessings in Early Adolescents: An Experimental Study of Gratitude and Subjective Well-Being. » Journal of School Psychology, vol. 46, no. 2, 2008, pp. 213-233.
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Livres

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Zola,Emile  J’accuse…! publié dans L’Aurore, n°87 (13 janvier 1898), p. 1-2.

Podcasts et interviews

Huberman, Andrew, et Wallach, Ari. The Huberman Lab Podcast : Building a Long-Term Vision Through Science. Épisode 104, 2023.

Robbins, Anthony. Interview d’Alice Herz-Sommer.: https://youtu.be/kIXe6XC42ro?si=e9iiwiJpTo3d9GTX

Wallach, Ari. Forging the Future: On The Longpath. Podcast. https://www.richroll.com/podcast/ari-wallach-698/

Wallach, Ari. Protopian Stories for Better Tomorrows. Podcast. https://youtu.be/q3YchSxYYDk?si=iKXVyhMcglCmrHwO

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