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Je suis allée récemment au cinéma pour voir Joker 2, après avoir été profondément marquée par le premier film sorti en 2019. Malgré les critiques négatives en France, j’ai décidé de plonger à nouveau dans cet univers.

À ma grande surprise, ce film m’a profondément bouleversée par sa richesse psychologique et sa manière magistrale de traiter des sujets complexes tels que la santé mentale, l’isolement et la quête d’identité. Les performances exceptionnelles de Joaquin Phoenix et de Lady Gaga apportent une intensité rare à l’écran, illustrant avec brio la lutte intérieure des personnages. Le scénario, oscillant constamment entre réalité et fantasme, dépeint un monde où Arthur Fleck cherche désespérément à fuir une réalité insupportable en se réfugiant dans ses illusions.

Cependant, ce qui m’a encore plus surprise, c’est la réaction de certains critiques. Ils vont même jusqu’à déconseiller au public d’aller voir le film, en lançant des avertissements comme « N’y allez pas », et le qualifient parfois de « daube ». Je trouve inapproprié de dicter au public ce qu’il doit ou ne doit pas regarder. Il est important de prévenir que certains films peuvent heurter la sensibilité, mais chacun devrait être libre de choisir selon sa propre perception.

Peut-être que pour certains critiques, il est trop difficile d’affronter la réalité violente dans laquelle se retrouvent des individus en détresse. Mais, à mes yeux, cette attitude critique s’apparente à un rejet supplémentaire, une forme d’exclusion vis-à-vis de ceux qui, comme Arthur Fleck, souffrent en silence et dans l’isolement.

Ce qui pourrait étonner, c’est le parallèle que je vais établir avec un autre personnage emblématique du cinéma : Forrest Gump. Bien que ces deux figures semblent aux antipodes l’une de l’autre, elles incarnent des facettes opposées de l’expérience humaine face à l’amour, à l’empathie et à la souffrance. Forrest, avec son innocence et son optimisme, contraste avec l’amertume et la violence d’Arthur Fleck. Dans une société qui souvent ferme les yeux sur la souffrance, deux personnages emblématiques, l’un vêtu de l’irrévérence d’un clown et l’autre de la simplicité d’un innocent, nous confrontent à une question fondamentale : que se passe-t-il lorsque l’amour et l’empathie manquent ?

Arthur Fleck, alias Joker, et Forrest Gump nous racontent des histoires parallèles d’isolement, de quête d’acceptation et de l’impact des relations sur notre santé mentale.

Issus de milieux profondément différents, Joker et Forrest Gump incarnent les extrêmes de l’expérience humaine face aux défis de la vie. Tandis qu’Arthur est forgé par une enfance marquée par la maltraitance et le rejet, Forrest bénéficie d’un amour inconditionnel qui lui confère une force intérieure. Ces récits soulignent l’importance cruciale des expériences d’attachement et du soutien émotionnel dans le développement personnel et la santé mentale. Les recherches en psychologie montrent que les relations d’attachement sécures favorisent la résilience et le bien-être, tandis que des environnements instables peuvent engendrer des comportements destructeurs.

Mais tous deux révèlent à quel point l’absence ou la présence de soutien émotionnel peut transformer une vie. Je voudrais ici montrer comment l’absence d’empathie et de soutien peut plonger un individu dans les profondeurs du désespoir, tandis qu’un environnement aimant permet à une autre personne de s’épanouir. En fin de compte, ces récits nous poussent à réfléchir sur notre rôle dans la création de liens qui protègent et nourrissent ceux qui nous entourent.

Joker et Forrest Gump, deux chemins opposés

Arthur Fleck, alias le Joker, souffre d’un rire nerveux causé par un traumatisme, renforçant son isolement dans un monde dépourvu de compassion et de soutien. En contraste, Forrest Gump, bien que souffrant d’un QI limité, est soutenu et aimé inconditionnellement par sa mère, ce qui lui permet de développer une vision positive de la vie et de tisser des liens significatifs.

Joker :

Joker, Arthur Fleck, est un homme délaissé par la société, invisible aux yeux des autres, qui tente désespérément de trouver sa place dans un monde sans empathie. Ignoré et moqué, il vit chaque jour comme une lutte silencieuse contre des forces qui l’écrasent. Chaque tentative de connexion se solde par un rejet, amplifiant ainsi son isolement et sa douleur. À l’intérieur de lui, une colère grandit, une frustration qui ne trouve aucun exutoire.

En psychologie, on sait que l’absence de soutien social a des effets dévastateurs. Des études montrent que lorsque les individus ne reçoivent pas de compréhension ou d’empathie, ils risquent de sombrer dans des comportements déviants, voire violents. C’est exactement ce que vit Arthur. Son esprit, déjà fragilisé par des années de maltraitance et de négligence, ne trouve aucune échappatoire. Il est seul face à ses démons.

Arthur souffre également d’un trouble rare, l’affect pseudobulbaire. Ce trouble, une sorte d’incontinence émotionnelle, provoque chez lui des rires ou des pleurs incontrôlables, souvent à des moments inappropriés. Ces rires nerveux, disproportionnés, le rendent encore plus marginal aux yeux des autres. Mais derrière ces éclats de rire gênants se cache une réalité sombre : ce trouble est probablement dû à un traumatisme crânien sévère qu’il a subi dans son enfance, ayant laissé des séquelles neurologiques. Le traumatisme a vraisemblablement affecté les zones de son cerveau régulant ses émotions, ce qui explique ces manifestations incontrôlées.

Plus Arthur tente de se conformer aux attentes sociales, plus il s’enfonce dans un gouffre émotionnel. Son rire, perçu comme un simple tic, est aussi un mécanisme de défense. C’est son corps qui crie sa souffrance au monde. Mais personne n’écoute. La société préfère détourner le regard plutôt que de comprendre ce qui se cache derrière ces crises de rire incontrôlées. Arthur finit par se couper du monde, enfermé dans une bulle de douleur et de solitude.

Les recherches de Judith Herman sur le traumatisme nous éclairent sur des cas comme celui d’Arthur. Lorsqu’un enfant subit des abus et est émotionnellement abandonné, cela laisse des traces profondes sur son comportement futur. Herman explique que ces traumatismes non résolus créent des cycles de violence et d’isolement, comme ceux que l’on observe chez Arthur. Bruce Perry, un expert en traumatologie, va plus loin en expliquant comment l’abandon et la maltraitance affectent directement le développement du cerveau.

En d’autres termes, Arthur Fleck n’est pas né pour être un monstre. Il est le produit d’un monde qui l’a brisé dès son plus jeune âge, un monde qui l’a privé d’attachement et de sécurité émotionnelle.

Arthur a grandi avec une mère elle-même déconnectée de la réalité. Elle lui répétait qu’il était un enfant heureux, malgré la douleur qu’il ressentait. Imaginez ce que cela signifie pour un enfant : vivre dans une confusion constante, tiraillé entre ses propres émotions et ce que l’on attend de lui. C’est là que commence la fracture dans l’esprit d’Arthur, cette incapacité à faire coïncider son monde intérieur avec le monde extérieur.

Son rire, devenu son emblème, est une barrière, une manière de se protéger du monde extérieur. Il repousse les autres sans même s’en rendre compte. Ce rire nerveux empêche toute connexion authentique avec ceux qui l’entourent. Alors qu’Arthur tente, à sa manière, de survivre dans un monde qui ne lui montre aucune empathie, ce mécanisme de défense finit par le pousser vers la violence.

Joker nous montre un homme devenu prisonnier de ses propres douleurs, mais aussi d’une société qui a ignoré ses appels à l’aide. Le film pose une question troublante : que se passe-t-il lorsque l’empathie disparaît, lorsque la société choisit de fermer les yeux sur les souffrances de ceux qui sont différents ? Le parcours d’Arthur Fleck nous offre une réponse tragique à cette question.

Alors qu’Arthur se retrouve de plus en plus isolé dans sa folie, incapable de distinguer le réel de l’imaginaire, il atteint un point de non-retour. C’est dans Joker 2 que cette folie franchit une nouvelle étape avec l’introduction de la « folie à deux », un trouble mental partagé entre deux personnes. Là où Arthur se sentait auparavant seul face à ses délires, il trouve désormais un écho chez quelqu’un d’autre, renforçant sa confusion et partageant ses illusions.

Le concept de « folie à deux » souligne à quel point son esprit est fragile et influençable. Arthur, déjà plongé dans un gouffre émotionnel, est happé dans une relation toxique qui amplifie sa descente dans la folie. Cette autre personne, au lieu de l’apaiser, l’entraîne encore plus profondément dans le chaos. Le film montre ainsi que certaines interactions humaines, loin d’être une source de guérison, peuvent exacerber les troubles mentaux. Cette évolution démontre que la folie, qui, au départ, semblait individuelle, devient ici une spirale collective, nourrie à la fois par l’indifférence de la société et par des relations destructrices.

Forrest Gump :

Né avec un QI de 75, Forrest fait face dès son plus jeune âge aux moqueries et à l’exclusion sociale. Mais contrairement à Arthur Fleck, il grandit dans un environnement aimant et sécurisant, sous la protection vigilante de sa mère, qui lui inculque des leçons essentielles sur la vie. « La vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber » : cette phrase emblématique résume bien la philosophie avec laquelle Forrest aborde chaque nouvelle étape de son existence. Cette éducation va faire de lui un homme simple au grand cœur, dont le parcours est marqué par sa candeur et sa capacité à naviguer dans un monde complexe, malgré ses limitations cognitives.

Forrest ne comprend peut-être pas tout ce qui se passe autour de lui, mais il avance avec une sagesse naïve et un optimisme indéfectible. Sa mère, personnage clé de son développement, le protège des cruautés du monde tout en l’encourageant à croire en ses capacités, malgré ses limites. Grâce à cet amour inconditionnel, Forrest accomplit des choses extraordinaires : il devient champion de football, combat au Vietnam et finit par inspirer toute une génération lors de sa célèbre course à pied à travers les États-Unis.

L’histoire de Forrest Gump est celle d’un homme qui, malgré son handicap, parvient toujours à s’épanouir, à se connecter aux autres et à faire face aux défis que la vie lui impose. Contrairement à Arthur Fleck, prisonnier de sa souffrance et isolé, Forrest est entouré de relations positives qui lui permettent de grandir et de maintenir une vision simple mais efficace de la vie.

Attachement sécure vs insécure

L’importance de l’attachement dans le développement émotionnel et comportemental est un thème central dans les parcours de Forrest Gump et d’Arthur Fleck. La théorie de l’attachement, développée par John Bowlby, met en lumière que les premières relations de l’enfance jouent un rôle fondamental dans la manière dont un individu perçoit le monde et interagit avec les autres.

Un attachement sécure se construit et se nourrit grâce à des parents ou des figures d’attachement bienveillantes, permettant à l’enfant de développer une confiance en lui et en autrui, l’aidant ainsi à affronter les défis de la vie avec résilience et optimisme. À l’inverse, un attachement insécure, souvent lié à des expériences d’abandon, de négligence ou de maltraitance, peut engendrer des comportements marqués par la méfiance, l’anxiété, voire la violence.

Forrest Gump : L’attachement sécure et la résilience

Forrest Gump incarne les bienfaits de l’attachement sécure. Bien que limité sur le plan intellectuel, il grandit entouré de l’amour inconditionnel de sa mère, qui veille à lui offrir un environnement stable et protecteur. Cet amour crée un sentiment de sécurité qui permet à Forrest de développer une perception positive de lui-même et du monde. Sa mère lui apprend que, malgré ses limitations, il a de la valeur et peut accomplir des choses extraordinaires.

Grâce à cette fondation affective, Forrest aborde chaque obstacle avec une innocence et une détermination exemplaires. Qu’il s’agisse de défis physiques, de moqueries ou des rigueurs de la guerre du Vietnam, il conserve une confiance inébranlable en sa capacité à surmonter les épreuves. Les travaux de Bowlby montrent que les individus bénéficiant d’un attachement sécure sont mieux équipés pour établir des relations stables et enrichissantes. Cela se vérifie chez Forrest, qui tisse des liens profonds avec des personnages tels que Jenny, le lieutenant Dan et ses camarades de guerre. Sa capacité à se connecter aux autres de manière authentique, malgré ses difficultés cognitives, témoigne de la force de cet attachement.

Arthur Fleck : L’attachement insécure et la violence

À l’opposé de Forrest, Arthur Fleck illustre les conséquences tragiques d’un attachement insécure. Enfant, il est victime de négligence et de maltraitance de la part de sa mère, celle qui aurait dû lui offrir amour et protection. Plongée dans un déni constant, elle est incapable de le protéger des abus qu’il subit, laissant Arthur grandir dans une profonde vulnérabilité. Incapable de se forger une image positive de lui-même ou de tisser des liens de confiance avec les autres, il devient prisonnier de son isolement émotionnel. Les recherches de Bowlby montrent que les enfants privés d’un attachement sécure développent souvent des troubles émotionnels à l’âge adulte, et Arthur en est une triste illustration.

Dans Joker 2, il est particulièrement poignant de voir comment, dès son plus jeune âge, la mère d’Arthur l’a privé de toute possibilité de développer la moindre estime de soi. Une voisine témoigne lors du procès que la mère d’Arthur lui répétait qu’il devait rendre les autres heureux, et que son fils, qu’elle jugeait « idiot », avait naïvement cru à cette injonction, malgré un monde qui ne lui offrait que du mépris en retour. Ce discours incarne un « débit anticipateur », une forme de jugement destructeur où l’échec est attendu d’avance, façonnant dès l’enfance son sentiment d’impuissance et son isolement.

Débit et crédit anticipateurs

Le « débit anticipateur » se manifeste lorsque des figures d’autorité projettent leurs attentes négatives sur l’enfant, l’enfermant dans l’idée qu’il est voué à l’échec. Ces messages, souvent implicites, anéantissent peu à peu la confiance de l’enfant en lui-même. À l’inverse, le « crédit anticipateur » repose sur une confiance inébranlable en la capacité de l’enfant à réussir, même face aux obstacles, et encourage l’enfant à surmonter les difficultés avec assurance.

Ce contraste est particulièrement frappant lorsque l’on observe Forrest Gump. La mère de Forrest incarne un « crédit anticipateur pur ». Elle lui répète, avec amour et bienveillance, que malgré ses limitations intellectuelles, il peut accomplir de grandes choses, et que ses origines ne définissent pas sa vie. Cet amour inconditionnel et cette foi en lui forgent la résilience et l’optimisme de Forrest, lui permettant de traverser les épreuves de la vie avec sérénité.

L’enfance douloureuse d’Arthur l’a rendu méfiant, anxieux, et enclin à des comportements autodestructeurs. Incapable de réguler ses émotions ou de trouver un soutien extérieur, il sombre dans un cycle de violence et d’isolement, exacerbé par l’indifférence d’une société qui renforce sa méfiance et son désespoir.

Là où Forrest reçoit l’amour inconditionnel de sa mère, qui lui permet de se construire et de s’épanouir, Arthur, lui, est constamment soumis à des attentes dévalorisantes, nourrissant un sentiment d’échec et de rejet qui l’enferme dans une spirale destructrice.

Le témoignage d’un ancien collègue d’Arthur, atteint de nanisme, lors de son procès révèle un aspect bouleversant de sa personnalité. « Je ne comprends pas, tu as toujours été gentil avec moi. Tu étais le seul à ne jamais te moquer », lui dit-il. Ces mots soulignent une vérité poignante : malgré ses épreuves, Arthur conservait une bonté intérieure, un écho de l’homme qu’il aurait pu être si les circonstances avaient été différentes. Mais cette bonté n’a pas pu survivre face aux cruautés et humiliations qu’il a subies. La violence qu’il finit par incarner n’est pas née de lui-même, mais d’un monde qui l’a brisé, l’amenant à se perdre dans une existence marquée par la souffrance et la solitude.

Comparaison des styles d’attachement

Les parcours de Forrest et d’Arthur montrent clairement comment l’attachement sécure ou insécure influence la capacité d’une personne à affronter les défis de la vie. Soutenu par une base affective solide, Forrest développe un optimisme naturel qui lui permet de surmonter les difficultés, de créer des liens sincères, et de s’épanouir dans un monde qui aurait pu le rejeter en raison de ses limitations.

Arthur, en revanche, n’a jamais bénéficié de ce soutien fondamental. Émotionnellement abandonné dès l’enfance, il porte en lui les stigmates d’un attachement insécure, qui se manifestent par des comportements violents et une incapacité à établir des relations stables. Là où Forrest se construit grâce à l’amour, Arthur se détruit faute de celui-ci.

Le pouvoir de l’empathie et de l’amour

 L’analyse des styles d’attachement de Forrest Gump et d’Arthur Fleck illustre l’importance des relations affectives pour le développement émotionnel et mental. Alors que l’attachement sécure favorise la résilience, l’optimisme et la capacité à créer des relations saines, l’attachement insécure conduit à la méfiance, à l’isolement et à la violence.

Ces récits nous rappellent que la manière dont nous interagissons avec les plus vulnérables peut transformer leur trajectoire de vie. En favorisant des environnements d’empathie et d’amour, nous avons le pouvoir de prévenir les tragédies semblables à celle d’Arthur Fleck, tout en nourrissant la résilience et la bonté symbolisées par Forrest Gump.

 Renforcer la bienveillance au quotidien

 Au-delà des grandes initiatives sociales, il est essentiel de se rappeler que chacun de nous peut être un acteur du changement. La bienveillance ne nécessite pas de gestes grandioses ; elle se manifeste dans les petites attentions quotidiennes, dans la manière dont nous interagissons avec ceux qui nous entourent. Prendre le temps d’écouter quelqu’un sans juger, sourire à une personne en difficulté, ou encore offrir son aide lorsque l’occasion se présente, sont autant de moyens simples mais puissants pour transformer notre société.

Chacun peut également contribuer à cette dynamique collective en s’engageant dans des actions communautaires. Que ce soit en soutenant des associations qui œuvrent pour la santé mentale, en participant à des initiatives locales pour les plus démunis, ou simplement en créant un climat de bienveillance dans notre cercle personnel et professionnel, ces actions renforcent le tissu social et réduisent l’isolement.

L’empathie, tout comme la violence, est contagieuse. En choisissant la gentillesse, nous envoyons un message d’espoir à ceux qui, comme Arthur Fleck, se sentent abandonnés et incompris. Chaque geste compte, et c’est ensemble que nous pouvons créer un monde plus humain et solidaire.

Conclusion : Restaurer l’empathie, la bienveillance et le soin dans nos sociétés

 L’histoire d’Arthur Fleck dans Joker est celle d’un homme brisé par l’indifférence, la violence et l’abandon. Ce n’est pas un monstre, mais un être humain souffrant, rejeté là où il avait le plus besoin de soutien. Ce film souligne combien notre société a besoin de gentillesse, d’empathie, de bienveillance, mais aussi d’une prise en charge médicale et d’une écoute attentive pour ceux qui souffrent. Ce sont des valeurs beaucoup trop négligées, surtout à une époque où les interactions virtuelles amplifient l’isolement et la cruauté.

Aujourd’hui, l’humiliation est exacerbée par l’anonymat des réseaux sociaux, où certains se permettent de juger sans connaître l’histoire des autres. Ce phénomène est dangereux et pousse les plus fragiles, comme Arthur, à plonger dans la violence ou l’autodestruction.

Lorsque je regarde Arthur Fleck, je vois un homme qui souffre, un être humain abandonné par la société. Et cette société, c’est nous. Elle ne se résume pas aux gouvernements ou aux institutions, mais se manifeste dans nos gestes quotidiens, nos paroles et notre empathie envers les autres.

Le psychologue Marc Brackett, fondateur du Yale Center for Emotional Intelligence, révèle que plus de 85 % des humains aspirent à vivre en paix. Cette paix commence dans nos cœurs et dans la manière dont nous traitons les autres, surtout les plus vulnérables. La gentillesse et l’empathie devraient être au cœur de notre éducation, pour nous-mêmes et nos enfants, afin de réduire l’humiliation et la souffrance que nous infligeons parfois inconsciemment.

Les services sociaux, qui représentent souvent la dernière ligne de défense pour les plus démunis, manquent de ressources. J’ai rencontré des personnes extraordinaires dans ces services, mais elles sont souvent impuissantes faute de moyens. Arthur était un enfant oublié des services sociaux, mais aussi de la société dans son ensemble. Nous devons plaider pour un meilleur financement de ces structures, car elles sont essentielles pour soutenir ceux qui n’ont plus rien.

Arthur Fleck avait besoin de nous. Mais jusqu’à son dernier moment, il a été abandonné. Toutefois, nous avons le pouvoir de changer cela. L’être humain est fondamentalement bon, mais nous ne devons pas laisser cette bonté être étouffée par l’indifférence et la compétition. Nous avons tous nos forces et nos faiblesses, et c’est précisément cette humanité partagée qui doit nous guider vers la bienveillance.

Dans ma pratique de psychothérapeute, j’ai vu à quel point de petits gestes peuvent changer une vie. J’ai vu des personnes au bord du suicide être sauvées par un sourire ou une parole bienveillante, tandis que d’autres ont sombré dans la dépression après une moquerie de trop. Il est donc essentiel de résister à la tentation de la cruauté et d’opter pour la bienveillance. La gentillesse et l’empathie forment le fondement de notre véritable nature. Ne laissons pas la cruauté et la froideur des temps modernes nous aveugler. Cultivons la bienveillance, car même les plus petits gestes peuvent sauver des vies et prévenir des tragédies.

Ce film, magnifiquement interprété par Joaquin Phoenix et Lady Gaga, ne serait pas le même sans leur engagement personnel. Joaquin Phoenix, reconnu pour son militantisme en faveur des droits des animaux, incarne Arthur Fleck avec une intensité bouleversante, révélant à quel point la compassion devrait s’étendre à toutes les formes de vie. Lady Gaga, quant à elle, apporte la même intensité et dévotion à son rôle de Harley Quinn qu’elle met dans son engagement en faveur de la santé mentale et du soutien aux jeunes démunis. En co-fondant la Born This Way Foundation, elle a travaillé avec Marc Brackett pour promouvoir la bienveillance et la santé émotionnelle chez les adolescents, reflétant ainsi un message en parfaite harmonie avec celui de Joker.

Ces exemples, tout comme les initiatives de la Born This Way Foundation, nous montrent que chacun de nous peut contribuer à une société plus empathique et solidaire. Chaque geste compte. En cultivant la gentillesse dans nos échanges quotidiens, nous avons le pouvoir de rendre ce monde plus chaleureux. Prenons exemple sur ces efforts, et engageons-nous à faire preuve de gentillesse chaque jour, en reconnaissant les besoins des autres, en particulier ceux qui sont marginalisés ou souffrent en silence. Car, oui, nous avons tous nos forces et nos faiblesses, et c’est ensemble, par la bienveillance, que nous pourrons bâtir un monde où chacun se sent valorisé et compris.

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