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La reconstruction de la confiance après avoir vécu sous emprise est un processus profondément complexe. Même si nous pouvons apprendre à reconnaître intellectuellement les signaux d’alerte et les comportements prédateurs, cette compréhension seule ne suffit souvent pas à restaurer un sentiment de sécurité et de confiance en soi et envers les autres.

Les traumatismes laissent une empreinte durable dans notre corps, allant au-delà de la simple rationalité. Les recherches en psychotraumatologie révèlent que ces expériences altèrent nos réponses émotionnelles et corporelles de manière significative, ce qui dépasse le simple domaine de la compréhension rationnelle, et rend difficile la récupération de la confiance perdue. C’est pourquoi il est crucial d’adopter une approche holistique qui prenne en compte à la fois le corps et l’esprit pour prendre le chemin d’une meilleure guérison.

Depuis plusieurs années, j’emploie dans ma pratique une méthode que j’ai nommée le REGAINSTEP©. Cette approche, avant tout non verbale, intègre des éléments tels que le mouvement et la direction, ainsi que la capacité à guider et à être guidé. C’est une approche qui engage le corps à travers le mouvement et s’avère bénéfique dans le contexte de la construction ou de la reconstruction de la confiance, car elle active différentes zones du cerveau de manière fluide et progressive.

Les recherches en neurosciences expliquent que le mouvement physique va aider à influencer l’état du système nerveux et favoriser une forme de réinitialisation neurologique. Cela va permettre de créer des conditions où le cerveau conscient, souvent en état d’hyper-vigilance suite à un trauma, ne fait pas obstacle au travail de guérison.

En intégrant dans le travail thérapeutique un mouvement délibéré, tel que la marche en arrière – qui n’est pas une action habituelle et qui active d’autres zones du cerveau – nous court-circuitons également les schémas de comportement habituels. Cette activation de zones supplémentaires contribue ainsi à une reprogrammation des réponses émotionnelles et corporelles envers des expériences sécurisantes, facilitant ainsi le retour d’un sentiment de confiance en soi et envers autrui.

Comment je pratique cet exercice en consultation :

Je commence toujours cet exercice dans l’espace de mon cabinet. J’explique à mon patient qu’au début, il sera face à moi, assez proche pour que nous puissions nous toucher à bout de bras, mais sans nous toucher. Je vais avancer et lui, au même rythme, va reculer. Je vais bien sûr faire attention à lui et lui indiquer s’il doit s’arrêter, tourner ou contourner un objet ou un mur. Nous ne nous parlerons pas, à l’exception de quelques mots que je vais prononcer pour le guider. Seul celui qui guide prononce ces quelques mots, aucun autre échange verbal. Il me regarde et mon regard va aller de lui à ce qui l’entoure, comme un focus sur le patient puis focus sur l’environnement puis refocus sur lui.

Au début, nous commençons par 45 secondes. Au bout de ces 45 secondes, nous échangeons les rôles : c’est moi qui me laisse guider et lui qui prend en charge ma sécurité. Ce changement de rôle est primordial et très étrangement, même chez les personnes qui ont besoin de garder le contrôle, le fait de devoir guider est plus difficile que d’être guidé. Or, ce changement est essentiel, car la personne qui a vécu l’emprise doit absolument se sortir, notamment dans sa mémoire corporelle, du rôle d’être guidée : elle doit apprendre à être guidée dans un lieu sécurisant avec une personne en qui elle a confiance, mais aussi à guider cette même personne. Se libérer de l’emprise, c’est aussi refaire confiance à autrui, tout comme se faire confiance à soi pour guider une autre personne.

Nous refaisons l’exercice plusieurs fois, en allongeant la durée. Puis, au cours des séances, il arrive aussi lorsque la personne prend de plus en plus confiance, que je l’emmène dans le jardin qui se trouve non loin de mon cabinet pour faire cet exercice en extérieur. Ce travail en extérieur apporte de nouveaux avantages, notamment ouvrir un champ de vision plus grand, un champ auditif plus grand, apprendre aussi à se détacher du regard de personnes autour.

Cet exercice peut être mis en pratique avec d’autres personnes que le thérapeute. Dans ce cas les consignes de l’exercice restent les suivantes :

Choix de la personne : il faut absolument que ce soit une personne qui comprenne l’enjeu de cet exercice et en qui on peut avoir toute confiance sur la sécurité.

C’est par ailleurs un exercice que je recommande aussi pour les couples afin de les aider à retrouver une confiance perdue, ou renforcer leur complicité. C’est un exercice que l’on peut faire également avec son adolescent pour l’encourager dans sa confiance et renforcer là aussi la communication non verbale.

Choix du lieu : Il est essentiel de sélectionner un endroit sécurisé pour pratiquer cet exercice. Évitez les zones à risques tels que les bords de falaises ou les endroits comportant des trous. La sécurité doit être une priorité.

Communication minimale : Pendant l’exercice, les participants ne se parlent pas, pas de commentaires. Les échanges se limitent aux instructions strictement nécessaires telles que « ralentis », « attention derrière toi » ou « dirige toi un peu plus sur la droite ». Il est important de noter que la droite du guide est inverse par rapport à celle de la personne qui recule, donc il est préférable d’utiliser des gestes pour indiquer la direction, comme « un peu plus par-là » ou « un peu plus par ici ».

Pendant l’exercice, les participants s’engagent dans une communication minimaliste qui exclut toute forme de critique. Les instructions se concentrent sur des indications objectives et sans aucun jugement. Plutôt que de dire « tu vas trop vite », on privilégie « ralentis », et au lieu de « va plus vite », on utilise « tu peux accélérer si tu veux, c’est sans danger ». L’accent est mis sur un langage positif et encourageant, créant ainsi un environnement propice à la confiance et au soutien mutuel.

Observation mutuelle : Les deux participants se regardent pendant l’exercice. Le guide maintient un regard vigilant et attentif, surveillant à la fois la personne qui recule et l’environnement pour repérer d’éventuels obstacles ou risques.

Dans cet exercice, les deux personnes sont amenées à se regarder mutuellement, et la personne guidée ne quitte pas du regard son guide. Pour la personne traumatisée, cette dimension revêt une importance particulière, car elle peut avoir perdu la capacité à regarder autrui, souvent en raison d’une expérience traumatisante où son agresseur lui disait « Regarde-moi dans les yeux Maintenant ! », associant ainsi le regard vers autrui à des moments de torture. Cet exercice vise ainsi à réapprendre à regarder l’autre en tant qu’acte de confiance, à se familiariser à nouveau avec cette interaction fondamentale.

Lorsque la personne traumatisée prend le rôle de guide, cela lui offre également l’opportunité de réapprendre à regarder autour d’elle. Lors de son expérience traumatique, son champ de vision, au sens propre comme au sens métaphorique, s’est retrouvé réduit à une vision « tunnel », ne lui permettant plus de voir ce qui se passait autour. En tant que guide, et dans le rôle de « prendre soin de la sécurité de l’autre », cela lui rappelle qu’elle a elle aussi la capacité à protéger l’autre. Cette dynamique permet à la personne traumatisée de reconstruire la notion de prendre soin d’autrui, lui offrant ainsi un chemin vers la réaffirmation de sa propre capacité à recevoir le soutien et la protection des autres.

Sécurité et sérieux : Aucune blague n’est permise pendant l’exercice. Il est essentiel de prendre au sérieux la sécurité de l’autre participant. Ainsi, il est impératif d’éviter toute tentative de jouer à faire peur ou de simuler une chute. La confiance dans le processus repose sur le respect strict des règles établies pour minimiser les risques et garantir un environnement sûr et bienveillant pour celui qui est guidé.

Rotation équitable : L’exercice est réalisé en alternance, chaque participant prenant exactement le même temps pour guider et être guidé. Par exemple, si la durée fixée est de 2 minutes, chaque participant passe 2 minutes dans chaque rôle.

Au fil du temps et de la pratique, certains participants peuvent apprécier d’accélérer le rythme, voire d’effectuer l’exercice à un petit trot mais cela ne doit se faire que lorsque les deux sont totalement à l’aise avec la démarche et qu’ils ont mutuellement consenti à cette accélération. Il est crucial qu’aucun ne tente d’influencer l’autre pour accélérer le rythme.

Le rôle de la respiration : une fois toutes les consignes précédentes mises en place, cet exercice sera encore plus profitable si vous pensez à inspirer par le nez et expirer doucement lentement par la bouche comme si vous souffliez à travers une petite paille.

C’est un exercice que vous pouvez utiliser de façon régulière à condition d’avoir une personne de confiance avec qui le faire.

Rappelez-vous aussi qu’il peut aider dans la communication dans le  couple, ou avec votre adolescent. J’ai même vu un patient qui l’a mis en place avec son associé alors qu’ils se distançaient un peu dans leur compréhension professionnelle.

La règle essentielle est de ne jamais, en aucun cas, obliger quelqu’un à le faire et surtout de bien respecter le timing identique pour chacun. Un jeune patient m’avait expliqué que son père était d’accord pour le faire en tant que guide pendant les 2 minutes décidées, mais s’arrêtait au bout de 30 secondes quand c’était à son tour d’être guidé, en disant « bon ça va maintenant ». Son fils a fini par réussir à le convaincre que dans ce cas, ils feraient 45 secondes chacun, ce qui a été profitable pour leur relation. Mais une des règles d’or est l’équité en termes de temps.

Conclusion :

En guise de conclusion, rappelez-vous que chaque pas en arrière peut être un pas vers l’avant. Que ce soit dans la reconstruction de la confiance, la restauration des liens, ou simplement dans la découverte de soi-même, l’audace de reculer peut parfois être le premier pas vers un avenir plus prometteur. Gardez à l’esprit que la confiance, la complicité et la joie ne sont jamais trop loin, même lorsque vous marchez en arrière.

Parce qu’il est parfois nécessaire de marcher en arrière pour mieux avancer !

Pour en savoir plus :

Articles

Argyle, M. (2013). Bodily Communication. Routledge.

Dash, B. B. (2022). Approaches to Strategies of Non-Verbal Communication. ResearchGate

Hall, J. A., Horgan, T. G., & Murphy, N. A. (2019). Nonverbal communication. Annual Review of Psychology, 70, 271-294. DOI

Knapp, M. L., & Hall, J. A. (2014). Nonverbal Communication in Human Interaction. Cengage Learning.

Mehrabian, A. (1971). Silent Messages: Implicit Communication of Emotions and Attitudes. Wadsworth Publishing Company.

Lisa Z. Tiedens et Alison R. Fragale Power moves: Complementarity in dominant and submissive nonverbal behavior » (2003) Journal of Personality and Social Psychology

Tomaszewski, C., Belot, R. A., Essadek, A., Onumba-Bessonnet, H., & Clesse, C. (2023). Impact of dance therapy on adults with psychological trauma: a systematic review. European Journal of Psychotraumatology, 14(2). PubMed link

Van de Kamp, M. M., Scheffers, M., Hatzmann, J., Emck, C., Cuijpers, P., & Beek, P. J. (2019). Body- and Movement-Oriented Interventions for Posttraumatic Stress Disorder: A Systematic Review and Meta-Analysis. Journal of Traumatic Stress, 32(6), 967-976. PubMed link

Livres

Levine Peter Réveiller le tigre – Guérir le traumatisme (interédition 2019)

Navarro Joe, « What Every Body is Saying” (2008 William Morrow Paperbacks)

Servan-Schreiber, David : “Guérir” éditions Laffont (2003/2021)

Van der Kolk, B. A. (2014). Le corps n’oublie rien (Albin Michel)

Retrouvez ici tous les articles de la série « Pour Franchir La Grille »