Dans un précédent article, nous avons parlé de l’importance de la lumière dans notre vie quotidienne et de son impact sur notre bien-être. Aujourd’hui, nous allons explorer un sujet tout aussi important mais souvent négligé : l’obscurité. L’obscurité joue un rôle essentiel dans la régulation de notre horloge biologique et de notre santé mentale. Dans cet article, nous verrons comment l’obscurité peut avoir de véritables bienfaits sur notre esprit et notre corps lorsque nous y sommes exposés.
La lumière et l’obscurité sont deux forces vitales qui gouvernent notre existence. Notre corps a évolué au fil des millénaires en synchronisant nos activités biologiques avec les cycles naturels de lumière et d’obscurité, ce que l’on appelle le rythme circadien. Cependant, notre monde moderne est de plus en plus éclairé 24 heures sur 24, perturbant cet équilibre délicat.
Le Dr. Andrew Huberman, expert en neurosciences, souligne pourtant l’importance de l’exposition à la lumière naturelle pendant la journée et de l’obscurité totale la nuit pour maintenir un cycle circadien sain.
Quel est le rôle de l’obscurité et qu’est-ce qui la perturbe ?
Qu’est-ce que l’obscurité ? Eh bien, c’est tout simplement l’absence de lumière !
L’obscurité joue un rôle vital en signalant à notre cerveau qu’il est temps de se reposer, ce qui déclenche la production de mélatonine, l’hormone du sommeil qui prépare notre corps à s’endormir.
Souvent, nous sous-estimons l’impact de la lumière pendant le sommeil. Il est important de comprendre que nos yeux sont extrêmement sensibles à la lumière, même lorsque nous dormons. Cela signifie que, même avec les yeux fermés, une certaine quantité de lumière peut passer à travers les paupières, y compris à travers les cils. Une faible luminosité peut donc perturber les phases cruciales du sommeil, telles que le sommeil profond et le sommeil paradoxal, qui sont essentielles pour un sommeil réparateur. Cette perturbation peut entraîner un sommeil fragmenté et une sensation de fatigue au réveil.
À notre époque, l’utilisation généralisée d’appareils électroniques a conduit à une exposition accrue à la lumière bleue, reconnue pour sa capacité à réduire la production de mélatonine, l’hormone essentielle pour le sommeil. Afin de préserver notre rythme circadien naturel, il est primordial d’éviter l’exposition à la lumière bleue avant le coucher.
Matt Walker, éminent chercheur et professeur de neurosciences spécialisé dans le sommeil, a souligné que l’utilisation d’un téléphone portable pendant une heure en soirée peut retarder la production de mélatonine de près de 3 heures. En termes simples, cela signifie que si vous utilisez un téléphone portable, une tablette ou votre ordinateur avant de vous coucher, votre corps peut interpréter que l’heure du coucher est encore éloignée. Ce retard dans la production de mélatonine peut non seulement entraîner des difficultés d’endormissement, mais également des réveils nocturnes fréquents. Ces interruptions du sommeil peuvent contribuer à l’insomnie, entraînant une fatigue persistante. En outre, la lumière bleue peut également réduire la durée de notre sommeil profond et du sommeil paradoxal (REM), deux phases cruciales pour la consolidation de la mémoire et la régulation de l’humeur.
Il faut noter que les enfants sont particulièrement sensibles à la lumière bleue, ce qui peut retarder leur production de mélatonine jusqu’à deux fois plus longtemps que chez les adultes, entraînant ainsi des problèmes et une mauvaise qualité de sommeil particulièrement préjudiciable pour eux.
Étant donné les aspects négatifs de la lumière bleue, des lunettes ont été proposées comme une solution potentielle pour la bloquer. Ces lunettes sont commercialisées avec la promesse de filtrer la lumière bleue des écrans, afin d’améliorer le sommeil et de réduire la fatigue oculaire. Cependant, l’efficacité de ces lunettes reste controversée. Selon une étude de la Cochrane Library en août 2023, il n’existe pas de preuves convaincantes que ces lunettes réduisent la fatigue visuelle plus efficacement que les lunettes standard, ni qu’elles améliorent significativement la qualité du sommeil. Les données ne soutiennent pas clairement l’efficacité de ces lunettes dans la protection contre les effets de la lumière bleue, laissant ainsi leur impact sur la qualité du sommeil et la santé oculaire en suspens.
En dehors des problèmes liés à la lumière bleue qui perturbent notre rythme circadien, l’utilisation d’appareils électroniques comporte également l’inconvénient de stimuler considérablement notre mental, que ce soit à travers les médias sociaux, les jeux, le travail ou d’autres activités numériques. Cette stimulation mentale entrave la détente du corps et soit va rendre difficile l’endormissement, soit perturber la qualité du sommeil : créer des réveils nocturnes, ou altérer la continuité du sommeil.
En résumé, et toutes les recherches s’accordent sur ce point, pour une meilleure qualité de sommeil, il est recommandé d’éviter l’utilisation des appareils électroniques au moins 1 à 2 heures avant le coucher. Certains experts conseillent même d’aller jusqu’à 3 heures pour minimiser au maximum l’impact sur le sommeil.
Avant d’aller se coucher, il existe un autre « piège » auquel nous ne pensons pas : celui de la lumière dans la salle de bains. En effet, si en allant vous laver les dents ou vous démaquiller vous regardez dans le miroir dans lequel se reflète la lumière allumée, ce reflet envoie un message au cerveau qui peut lui faire croire que l’aube va bientôt arriver. Là aussi, dans la mesure du possible, essayez d’utiliser la lumière de la salle de bains une heure avant le coucher ou sinon, évitez d’allumer toute la salle de bains et évitez de regarder votre reflet dans le miroir.
Et ce n’est pas tout ! D’autres sources lumineuses auxquelles on ne pense pas peuvent également semer la zizanie dans notre quête d’un sommeil réparateur. Même de petites lueurs, comme celle d’un micro-ondes ou d’un téléviseur en veille, ont le pouvoir de perturber notre précieux sommeil et notre rythme circadien. Pour éviter ces embûches, gardez à l’esprit que l’obscurité est l’absence de lumière, et faites en sorte de minimiser au maximum votre exposition à ces sources lumineuses.
Lorsque vous devez vous déplacer la nuit, privilégiez l’utilisation d’une lampe à lumière chaude que vous pouvez orienter vers le sol. Cela évitera que la lumière n’atteigne directement vos yeux.
Pour ceux qui ont du mal à s’habituer complètement à l’obscurité, comme les enfants ou les personnes souffrant de nyctophobie (peur du noir), l’installation d’un éclairage tamisé et chaud au niveau du sol peut être une solution adaptée. Cela fournit une luminosité suffisante pour la sécurité et le confort, tout en minimisant les perturbations du cycle naturel du sommeil.
Vous pouvez appliquer ces mêmes principes pour préparer vos soirées. Un dîner aux chandelles, par exemple, peut être à la fois apaisant sur le plan mental et physique. Optez pour un éclairage de couleur chaude, de préférence situé près du sol, ou choisissez des lampes rouges. La lumière rouge est apaisante et peut favoriser la détente avant le coucher. En effet, contrairement à la lumière bleue, elle a moins d’impact sur la production de mélatonine.
En ce qui concerne les promenades nocturnes à la belle étoile ou sous la pleine lune, n’hésitez pas à en profiter sans restriction. Votre cerveau appréciera ces moments de tranquillité !
Pour avoir une idée de l’intensité lumineuse, voici quelques chiffres en lux (unité de mesure de l’éclairement lumineux) :
- Dîner aux chandelles : environ 1 lux.
- Nuit étoilée sans lune : moins de 0,001 lux.
- Pleine lune : entre 0,1 et 0,3 lux.
- Luminosité d’un téléphone portable, tablette ou ordinateur : généralement de 200 à 800 lux.
Ces chiffres nous rappellent l’importance de ranger nos écrans et d’opter pour des éclairages plus doux pour préserver notre bien-être.
Obscurité et santé physique :
La perturbation du rythme circadien et les troubles du sommeil causés par une exposition excessive à la lumière ont également des conséquences néfastes sur la santé physique. Cela peut augmenter le risque de maladies cardiovasculaires, d’obésité, de diabète et même de certains types de cancer. Des experts tels que le Dr. Andrew Huberman et Peter Attia ont ainsi mis en garde contre les effets négatifs de l’exposition nocturne à la lumière sur l’humeur et la santé.
Dans nos yeux, il existe des cellules ganglionnaires rétiniennes mélanopsines sensibles à la lumière, qui jouent un rôle clé dans la régulation de l’horloge circadienne et de l’humeur. Le manque de sommeil et l’exposition nocturne à la lumière peuvent également perturber les hormones régulant l’appétit, comme la ghréline et la leptine, augmentant ainsi les fringales pour les aliments riches en sucre et en graisses, ce qui peut contribuer à la prise de poids et aux problèmes métaboliques.
L’obscurité joue un rôle essentiel dans la régulation de notre métabolisme, en particulier dans la gestion du glucose sanguin. La mélatonine produite en réaction à l’obscurité influence la sensibilité à l’insuline et la tolérance au glucose. Pendant la nuit, en présence d’obscurité, la production d’insuline diminue naturellement, ce qui permet au taux de glucose de légèrement augmenter en préparation de l’énergie nécessaire au réveil. Cependant, une exposition à la lumière artificielle pendant la nuit perturbe ce processus, augmentant ainsi le risque de troubles métaboliques tels que le diabète de type 2.
Donc, pour optimiser la régulation du glucose, il est indispensable là aussi de maintenir un environnement sombre pendant le sommeil et de limiter l’exposition à la lumière bleue des écrans le soir.
Obscurité et Santé Mentale :
L’impact de la lumière et de l’obscurité sur la santé mentale est crucial. Des études ont montré que l’exposition excessive à la lumière la nuit peut augmenter le risque de troubles de l’humeur comme la dépression, tandis que l’obscurité peut aider à réduire ce risque et à améliorer la santé mentale globale. De plus, l’obscurité peut également contribuer à la réduction du stress et de l’anxiété en diminuant les niveaux de l’hormone du stress, le cortisol.
Une étude récente, la plus vaste jamais réalisée sur ce sujet, a impliqué près de 87 000 participants. Elle a révélé que l’exposition accrue à la lumière nocturne était liée à un risque accru de troubles psychiatriques tels que l’anxiété, les troubles bipolaires, la sévérité du trouble de stress post-traumatique (PTSD) et les comportements d’automutilation. De manière significative, cette étude a également montré que l’exposition à une lumière naturelle abondante pendant la journée pouvait agir comme une méthode non médicamenteuse pour réduire le risque de psychose.
Les personnes exposées à de grandes quantités de lumière la nuit ont vu leur risque de dépression augmenter de 30 %, tandis que celles exposées à de grandes quantités de lumière pendant la journée ont réduit leur risque de dépression de 20 %. Des tendances similaires ont été observées pour d’autres troubles mentaux tels que le comportement d’automutilation, la psychose, le trouble bipolaire, le trouble d’anxiété généralisée et le PTSD.
En outre, pour ceux qui ont vécu l’emprise et les traumatismes qui en découlent, l’obscurité peut jouer un rôle précieux dans le processus de guérison. Des études en neurobiologie et en traumatologie ont ainsi révélé que le sommeil de qualité, encouragé par un environnement sombre, peut contribuer de manière significative à la réparation des traumatismes psychologiques.
Le sommeil profond et réparateur permet au cerveau de traiter et de consolider les émotions difficiles et les souvenirs traumatiques. Cette phase de sommeil peut réorganiser les informations et les expériences vécues, contribuant à atténuer l’intensité émotionnelle associée aux traumatismes. De plus, le sommeil de qualité favorise la régulation des émotions, ce qui est essentiel pour ceux qui ont souffert d’emprise et de traumatismes.
L’obscurité doit donc être considérée comme une alliée dans la réparation des traumatismes. En créant un environnement sombre favorable au sommeil, il est possible de favoriser une meilleure qualité de sommeil, ce qui, à son tour, va contribuer à la résilience émotionnelle et à la guérison progressive.
Dans leur podcast cité en référence, Andrew Huberman et Peter Attia soulignent que les résultats des études mettent en avant une idée simple : « Éviter la lumière la nuit et rechercher la lumière pendant la journée » peut constituer un moyen simple et efficace, pour considérablement améliorer la santé mentale.
Conseils pratiques pour intégrer l’obscurité dans votre quotidien :
Installez des rideaux occultants dans votre chambre à coucher pour bloquer toute lumière indésirable. Si les rideaux ne suffisent pas, envisagez l’utilisation d’un masque de sommeil confortable qui s’adapte à votre visage sans exercer de pression excessive sur les yeux. Optez pour un masque respirant pour éviter l’accumulation de chaleur pendant la nuit et préférez un masque ajustable qui assure un meilleur ajustement à la taille de votre tête.
Évitez les écrans au moins 1 à 2 heures avant le coucher, voire 3 heures selon certains experts.
Évitez de regarder dans le miroir illuminé de la salle de bains dans l’heure précédent le coucher.
En cas de réveil nocturne, résistez à la tentation de consulter votre téléphone ou votre tablette, car la lumière des écrans va alors perturber votre sommeil.
Choisissez des sources de lumière chaude : Dans votre chambre, optez pour des ampoules à lumière chaude, telles que des ampoules rouges, ou des lampes de chevet dotées d’une lumière tamisée. Placez ces sources de lumière près du sol pour minimiser la luminosité et créer une atmosphère apaisante.
Dirigez la lumière vers le sol si vous vous déplacez la nuit.
Exposez-vous à la lumière naturelle pendant la journée : Passez du temps à l’extérieur, en particulier le matin, pour réguler votre horloge biologique et favoriser la production de mélatonine le soir.
En fin de compte, l’obscurité est bien plus qu’une simple absence de lumière. Elle est un élément essentiel de notre bien-être, tant sur le plan mental que physique. En comprenant son rôle et en adoptant des pratiques pour intégrer l’obscurité dans notre vie nocturne, nous pouvons favoriser un sommeil de meilleure qualité, une meilleure santé mentale et physique, et même contribuer à la guérison de traumatismes passés. Alors, avant de rejoindre Morphée, souvenez-vous de l’importance de l’obscurité pour votre équilibre global et faites de la nuit votre alliée dans la quête d’un bien-être optimal…
Pour en savoir plus :
Articles Scientifiques :
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Bessel van der Kolk “The Body Keeps the Score: Brain, Mind, and Body in the Healing of Trauma Éditeur : Viking (2014)
Glenn R. Schiraldi, The Post-Traumatic Stress Disorder Sourcebook: A Guide to Healing, Recovery, and Growth (McGraw-Hill .2009)
Jasmin Lee Cori “Healing from Trauma: A Survivor’s Guide to Understanding Your Symptoms and Reclaiming Your Life” (Marlowe & Company 2007)
Podcast
Huberman Lab Journal Club with Dr. Peter Attia | Effects of Light & Dark on Mental Health & Treatments for Cancer
Master Your Sleep & Be More Alert When Awake https://youtu.be/nm1TxQj9IsQ?si=_bGoaEGD8bUJ-zHv
Satchin Panda: « Sleep is a Skill » https://www.sleepisaskill.com/podcasts/episode-116
STEM-Talk – Dr. Satchin Panda on Circadian Rhythms and Time-Restricted Eating to Improve Health https://www.ihmc.us/stemtalk/episode-79/
The Joe Rogan Experience – Sleep Expert and Neuroscientist Dr. Matthew Walker https://www.youtube.com/live/pwaWilO_Pig?si=F9wmhfGk-MFMl_nn
Episode 31: Dr. Matthew Walker: The Science & Practice Of Perfecting Your Sleep| Huberman Lab
Andrew Huberman: Sleep, Dreams, Creativity, Fasting, and Neuroplasticity (#164) | Lex Fridman Podcast
Retrouvez ici tous les articles de la série « Pour Franchir La Grille »