En participant régulièrement aux stages de l’association Lady System Defense, j’ai constaté avec surprise qu’un certain nombre de femmes, lorsqu’on leur demandait de réagir en hurlant de toutes leurs forces face à une simulation d’attaque, éprouvaient des difficultés à crier. Dans certains cas, seul un léger filet de voix parvenait péniblement à sortir. Face à cette problématique, où seule une faible émission vocale semblait possible, une question a émergé : pourquoi la simple action de crier, pourtant naturelle, devenait-elle un défi pour certaines d’entre nous ? Cette observation m’a amenée à explorer le lien entre notre voix, notre confiance personnelle et notre capacité à réagir de manière assertive dans des moments cruciaux.
Pourquoi crier devient-il une arme efficace lors d’une agression ?
Parce que crier dans l’oreille de quelqu’un est déstabilisant, en raison de l’effet soudain sur les systèmes auditif et nerveux. Cela induit une sensation de choc, de surprise et de désorientation, qui affecte la capacité de l’agresseur à se concentrer et à maintenir une prise ferme sur la situation.
Voici quelques explications plus détaillées :
Réflexe de Sursaut Acoustique : Lorsque nous sommes exposés à un son soudain et fort, le corps réagit instinctivement par un réflexe de sursaut acoustique. Cela se traduit par une contraction rapide des muscles du corps, y compris ceux du visage et du cou, en réponse au stimulus sonore inattendu.
Désorientation Sensorielle créant une déstabilisation de l’agresseur : Un cri puissant dans l’oreille provoque une désorientation sensorielle, car l’agresseur peut être temporairement incapable de traiter les informations auditives de manière cohérente. Cela peut créer une opportunité pour la personne agressée de s’éloigner ou de prendre des mesures pour sa sécurité.
Impact sur le Système Nerveux Central : Les stimuli sonores forts ont un impact sur le système nerveux central, provoquant une libération soudaine de neurotransmetteurs tels que l’adrénaline qui va entraîner une perturbation momentanée du fonctionnement cognitif de l’agresseur, le rendant moins apte à maintenir le contrôle de la situation.
Distraction et Confusion : Un cri puissant va distraire et créer une confusion chez l’agresseur, l’obligeant à réévaluer la situation. Cela peut créer une fenêtre d’opportunité pour la personne agressée de prendre des mesures pour sa protection, comme fuir ou demander de l’aide.
Mais comment apprendre à crier, lorsqu’il est difficile pour une personne de le faire ?
Il existe un exercice très simple qui va également avoir l’avantage de vous apprendre à libérer votre diaphragme. C’est important parce que le diaphragme joue un rôle essentiel dans la respiration, en se contractant lors de l’inspiration et en se relaxant lors de l’expiration. Lorsqu’il est bloqué ou tendu, cela entraîne une respiration superficielle et des tensions physiques et mentales. Apprendre à le libérer permet une réduction du stress, entrainant une meilleure affirmation de soi, qui entraîne elle-même une amélioration de la confiance en soi.
Et pour cela, les voyelles sont des alliées inattendues pour notre voix… En pratiquant régulièrement des exercices vocaux axés sur les voyelles, on ouvre en effet la voie à une respiration profonde et contrôlée, favorisant ainsi la détente du diaphragme. Utilisés par ailleurs dans la formation des chanteurs, ces exercices sont conçus pour travailler sur la posture, la respiration et la coordination des muscles impliqués dans la production de la voix. Et chaque voyelle peut être utilisée de manière spécifique pour cibler différents aspects de la production vocale et de la libération du diaphragme.
Les voyelles en Action : des exemples d’exercices qui vont agir sur notre corps :
Tout d’abord mettez-vous debout, dans une posture bien droite les jambes un peu écartées pour assurer une position bien stable
Prononcez à voix haute chaque voyelle de manière prolongée, en maintenant une émission vocale stable. Commencez par A et progressez vers les autres voyelles.
Focalisez-vous sur une respiration profonde et contrôlée du diaphragme.
Allons-y :
A (comme dans « chat ») : Cette voyelle est une invitation à ouvrir la gorge et relâcher les tensions dans la région du cou. Un « A » prononcé de manière consciente libère les muscles, favorisant une expression vocale plus détendue.
E (comme dans « été ») : L’utilisation de la voyelle « E » travaille sur la hauteur du palais et mobilise les muscles du visage. Cela contribue à créer un son plus clair, projeté, tout en stimulant la coordination musculaire.
I (comme dans « si ») : Prononcer la voyelle « I » met l’accent sur la hauteur du palais et la position de la langue, améliorant la clarté du son. Un « I » conscient peut ainsi être une invitation à une expression vocale plus précise.
O (comme dans « eau ») : La voyelle « O » est utilisée pour travailler sur la forme du canal vocal, encourageant une production vocale plus centrée. En intégrant le « O, » on favorise une meilleure résonance et projection vocale. C’est la raison pour laquelle on la retrouve dans beaucoup de chants marins, militaires… ou encore dans la marche des 7 nains (« Heigh-Ho on rentre du boulot ») !
U (comme dans « fou ») : La voyelle « U » cible les muscles abdominaux inférieurs. En la prononçant, on renforce le soutien abdominal, contribuant à la libération du diaphragme et à une respiration plus profonde.
Vous pouvez ensuite faire des arpèges de Voyelles : Chantez des séquences d’arpèges en utilisant différentes voyelles. Assurez-vous de soutenir chaque note avec une respiration contrôlée.
Voyelles avec Crescendo et Decrescendo : Choisissez une voyelle, commencez doucement et augmentez progressivement l’intensité (crescendo), puis diminuez progressivement (decrescendo). Maintenez le contrôle du diaphragme pour une émission vocale stable.
Série de Voyelles Rapides : Prononcez rapidement une séquence de voyelles pour améliorer la flexibilité vocale.
Quand devriez-vous intégrer ces exercices de voyelles dans votre routine ?
À chaque occasion possible ! Plus vous les pratiquez, plus cela deviendra naturel et créera un réflexe en vous. Si vous ne pouvez pas le faire quotidiennement, essayez de le planifier au moins une fois par semaine.
Et n’hésitez pas à le faire à plusieurs ! A la maison en couple, avec les enfants, au bureau avec les collègues…
Cet exercice est particulièrement bénéfique pour les enfants, les aidant à mieux équilibrer leurs émotions. Il est tout aussi utile pour les hommes. En effet un certain nombre d’entre eux se trouvent eux aussi dans l’incapacité de crier lors d’une agression, se retrouvant figés. Alors que dans d’autres circonstances – en réaction à une conduite agressive sur la route par exemple – ils ont la facilité de hurler.
Une de mes patientes a par exemple établi le rituel de pratiquer ces exercices chaque matin avec ses collègues, recréant ainsi une expérience similaire au chant en groupe et stimulant la libération d’oxytocine, l’hormone du lien, qui joue un rôle crucial dans la création et le maintien des liens sociaux.
L’adoption régulière de cet exercice en groupe peut ainsi devenir une activité renforçant le sentiment de connexion, de bien-être et d’appartenance au sein du groupe, social et/ ou familial.
Conclusion
Le pouvoir des voyelles va bien au-delà de l’expression vocale. En intégrant ces exercices simples dans votre quotidien, vous accordez à votre voix le privilège de se libérer, mais vous vous armez également d’un instrument de défense précieux.
Se donner la possibilité de crier est bien plus qu’un acte vocal, c’est une affirmation de soi et une mesure de sécurité fondamentale !
Permettez à votre voix de résonner non seulement dans les moments musicaux mais aussi dans votre vie quotidienne. En développant cette compétence, vous cultivez une confiance intérieure et une résilience qui peuvent être des atouts puissants dans diverses situations, y compris celles qui nécessitent une réaction rapide.
Dans l’univers des voyelles, découvrez non seulement votre propre mélodie, mais aussi votre force intérieure. Laissez votre voix devenir un instrument de confiance et de défense personnelle, car vous méritez de vous exprimer pleinement et de vous sentir en sécurité.
Pour en savoir plus :
Stage Self Defense Féminine de l’association Ladies System Defense : https://ladiessystemdefense.com/
Blanche Neige et les Sept Nains – Heigh-ho ! / Disney sur YouTube
Livres :
Défendez vous ! Laurent Hennequin Laure Oudet-Dorin (2018 Hachette)
« The Singing Neanderthals: The Origins of Music, Language, Mind, and Body » par Steven Mithen
« The Singing Cure: How to Use the Healing Power of Your Voice » par Paul Newham
« Wired for Sound: A Journey into Hearing » par Beverly Biderman
Articles Scientifiques :
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Dingle, G. A., Brander, C., Ballantyne, J., & Baker, F. A. (2012). ‘To be heard’: The social and mental health benefits of choir singing for disadvantaged adults. Psychology of Music, 40(6), 635-652.
« Musicophilia: Tales of Music and the Brain » par Oliver Sacks
« Why You Love Music: From Mozart to Metallica – The Emotional Power of Beautiful Sounds » par John Powell
« The Polyvagal Theory in Therapy: Engaging the Rhythm of Regulation » par Deb Dana (explorant les connexions entre la voix, la respiration et la régulation neurovégétative)
Articles :
Kreutz, G., Bongard, S., Rohrmann, S., Hodapp, V., & Grebe, D. (2004). « Effects of Choir Singing or Listening on Secretory Immunoglobulin A, Cortisol, and Emotional State. » Journal of Behavioral Medicine, 27(6), 623–635.
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Clift, S., Hancox, G., Morrison, I., Hess, B., & Kreutz, G. (2010). « Choral Singing and Psychological Wellbeing: Quantitative and Qualitative Findings from English Choir Members. » Arts & Health, 2(1), 36–51.
Dingle, G. A., Brander, C., Ballantyne, J., & Baker, F. A. (2012). « ‘To Be Heard’: The Social and Mental Health Benefits of Choir Singing for Disadvantaged Adults. » Psychology of Music, 41(4), 405–421.
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