C’est avec effroi que le monde découvre que, dans une petite ville de Californie, treize frères et sœurs, affamés et sales, étaient enfermés par leurs parents, certains attachés à leur lit avec des chaines et des cadenas. Comment ce genre de chose peut-il arriver sous les yeux des voisins au sein d’une petite ville ?
David et Louise Turpin se présentaient comme un couple normal qui avait choisi de scolariser ses enfants à domicile. Or il faut savoir que couper ses enfants de l’école peut être un excellent moyen pour établir, à l’abri du regard extérieur, une emprise physique et psychologique sur eux. « Ils les obligeaient à mémoriser de longs passages de la Bible », racontent les grands parents. Obliger quelqu’un à apprendre des textes par cœur contribue à empêcher chez lui la pensée, la réflexion, l’esprit critique. C’est comme si l’on faisait entrer la pensée dans un entonnoir pour l’asphyxier.
On est typiquement dans une relation construite par un prédateur, un ogre. Dans ce cas, étaient-ils deux ogres ? Ou un ogre et sa complice plus ou moins consentante ? L’enquête en cours devrait nous permettre d’en savoir plus.
Pour l’ogre, seuls ses idées, son monde mental, ses croyances, ses besoins comptent. Les autres sont soit des « instruments » soit des « obstacles ». D’évidence, les enfants Turpin étaient les instruments des parents, assujettis à une entreprise de chosification. Malgré leur différence d’âge, les filles étaient habillées exactement de la même façon : robe mauve à imprimé quadrillé. Seule la benjamine de 2 ans avait un habillement différent, peut-être parce qu’elle n’était pas encore en âge de devenir un objet. Les garçons avaient une coupe de cheveux « au bol », identique à celle du père.
Cette famille faisait tout pour se faire passer pour une famille normale et heureuse : « Nous avons toujours pensé qu’elle vivait la vie parfaite » a déclaré la sœur de Louise Turpin. Le chef de la police affirme : « Nous n’avions jamais été alertés sur des soupçons d’abus d’enfants dans cette résidence. »
Pourtant, une voisine reconnaît qu’en deux ans, elle n’a vu qu’une seule fois ces enfants, trois d’entre eux pour être précis. Elle les décrit ainsi : « Ils étaient pâles comme des vampires et n’avaient que la peau sur les os. » Un autre voisin témoigne : « Je me suis dit qu’ils suivaient des cours à domicile… On sentait qu’il y avait quelque chose de louche, mais on ne veut pas penser du mal des gens. »
On ne veut pas penser du mal des gens. C’est malheureusement une réaction trop fréquente. En tant que voisin, si vous suspectez quelque chose d’anormal, ne fermez pas les yeux, gardez une certaine vigilance et n’hésitez pas à faire un signalement à la police. C’est grâce à des regroupements de témoignages que des victimes peuvent être sauvées. Trop souvent on entend des histoires de victimes qui ont été gardées captives durant des années juste sous les yeux de leurs voisins, qui n’étaient pas des voisins indifférents, mais ne pouvaient imaginer que des choses aussi terribles pouvaient arriver juste à coté de chez eux!
L’homme qui a béni par trois fois le renouvellement des vœux de mariage du couple dans une chapelle à Las Vegas, se souvient d’enfants très doux et bien élevés et pense que « quelque chose de récent a dû changer les circonstances, de nature médicale ou en lien avec le travail : je ne veux pas croire que les enfants ont souffert aussi longtemps. » Voilà une autre erreur fréquente, due au fait que les gens ne peuvent pas ou ne veulent pas croire que ce type de comportement existe et surtout qu’eux-mêmes n’ont rien détecté. En réalité, ils ont été aveuglés par la séduction déployée par le prédateur. Non, on ne devient pas tout à coup un prédateur sadique. On installe très en amont un rapport de séduction avec les témoins potentiels d’une part, et d’autre part un rapport d’emprise avec les victimes. Les enfants qui ont subi ce cauchemar sont sous emprise depuis très longtemps. Contrairement à l’enfant qui a appris des modèles de conflit, de rébellion, et qui peut imaginer réagir, l’enfant qui n’a connu que la soumission dans un monde raréfié se sent incapable de tout. Il n’a plus d’existence propre, on peut donc l’enchaîner et le maltraiter sans qu’il se révolte. A l’extérieur, il donnera l’impression d’être un enfant « doux et bien élevé », alors qu’il est en train de subir un meurtre psychique.
Ces enfants auront certainement un long travail de reconstruction physique et psychologique à accomplir. Saluons le courage de celle qui a donné l’alerte. Pour une jeune fille élevée dans une famille aimante, un tel comportement serait évident. Mais pour cette jeune fille qui a subi la torture pendant tant d’années, il est tout à fait remarquable qu’elle ait pu trouver la force et le moyen d’affronter l’emprise parentale et de sauver sa fratrie.
Je pense aussi avec tristesse à cette jeune femme japonaise qui avait été enfermée par ses parents car ils la trouvaient « violente ». Ils avaient installé une dizaine de caméras de surveillance afin d’être certains que personne ne découvre leur secret. Elle a été retrouvée morte après quinze ans de séquestration. Posons-nous la question : n’y a-t-il pas aujourd’hui autour de nous, presque sous nos yeux, des enfants « doux et bien élevés » soumis à des maltraitances défiant tellement l’imagination que nous préférons ne pas les voir ?