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Jusqu’à 14 ans, Céline Raphaël a vécu dans la terreur. Son livre est un témoignage courageux sur la maltraitance. Elle y raconte la violence extrême de son père.

Pendant plus de dix ans, elle a subi coups, tortures mentales, humiliations par un père, cadre supérieur  directeur d’usine et notable respecté, qui avait choisi d’en faire une pianiste de renom.

Au départ, Céline est une enfant comme les autres. Elle a une petite sœur qui, elle, va avoir une enfance « normale ». Mais son père découvre que  Céline a un don pour le piano… Dès lors, il va lui faire vivre l’enfer, allant jusqu’à lui infliger des séances de travail de 3 heures par jour dès l’âge de 4 ans.  Jours, soirs, nuits et week-ends, elle est attachée au piano dès 6 ans. A chaque fausse note, les coups tombent. Elle implore son pardon, elle pleure, il la traîne de pièce en pièce par les cheveux et elle doit avaler sous ses ordres des détritus à même le sol.

La petite fille est transformée en « bête de concours », et multiplie les auditions : un parcours du combattant, au rythme inhumain.

Au nom de la réussite, il lui inflige des mauvais traitements, insultes, dévalorisations. « Tu es pire qu’un chien. » Ces mots irrémédiables ont marqué ma chair jusqu’au sang. Je ne les oublierai jamais. J’ai beaucoup de mal à m’en défaire ». Son corps sera marqué par les coups de ceinture, la privation de nourriture…

La mère de Céline, sous l’emprise psychologique de son mari, a une attitude très en retrait. Céline se souvient d’elle qui se lève en disant : « Je ne veux pas voir ça »…

Héroïquement, Céline accepte ses souffrances et garde tout pour elle, pour épargner sa mère et sa sœur. Tous les jours d’école, elle redoute la fin des classes. Les week-ends l’angoissent terriblement, car elle est entièrement livrée à son père pendant deux jours. Elle a tellement peur qu’elle craint de mourir sous ses coups. « Ma terreur, c’était de mourir un week-end et que personne ne le voie ».

Personne ne sait rien. Ou plus précisément : personne ne veut rien savoir. Céline lance des messages, elle essaie d’attirer l’attention en traînant le plus possible après les cours, en discutant le plus longtemps possible avec ses professeurs. Mais aucun n’a la présence d’esprit de lui demander : « Est-ce que ça va Céline ? Tu n’as pas l’air contente de rentrer chez toi ». Il lui est impossible de parler directement. Comment parler en sachant qu’on risque de condamner l’unité de la famille ?

En plongeant dans l’anorexie elle tente d’adresser un message à son père : « Si je maigris, c’est que je ne vais pas bien. Si je ne vais pas bien, c’est que tu me rends malheureuse ». Son père n’y voit pas le message de souffrance, mais rien de plus qu’un obstacle à ses rêves de grandeur. « Je me suis assise à ma place à table, tout en le surveillant du coin de l’œil. Ma mère avait fait des spaghettis à la bolognaise, mais je ne mangeais plus de pâtes depuis un bon moment déjà. Une fois servie, je contemplais mon assiette en me demandant comment j’allais pouvoir échapper à cela. Mon père m’observait. Tout d’un coup, il s’est levé et m’a attrapée par les cheveux. Après m’avoir renversé la tête en arrière, il essaya de m’enfoncer une fourchette de pâtes dans la bouche. Je tentais de résister en gardant mes lèvres bien serrées. Il m’a alors bloquée contre son torse en immobilisant mes bras et m’a bouché le nez. J’étais en apnée. »

A l’âge de 14 ans, après un déménagement, Céline va enfin rencontrer une infirmière de lycée qui réussit à gagner sa confiance et se montrer à son écoute. « Ma parole a été libérée, par ces simples mots prononcés : « Ce n’est pas normal ce que tu vis » »Elle va lui montrer ses bleus, lui raconter les sanctions qu’elle subit.

Ensuite, elle se trouvera face la machine judiciaire française, un monstre froid et sans pitié, pour échapper à la brutalité de son bourreau. Face à la douleur aussi, et face à ceux qui « doutent » et la prennent pour une mythomane : « « Je suis perplexe. Tu as attendu quatorze ans pour parler? Tu ne pouvais pas te rebeller avant si c’était si terrible que cela chez toi ? ». Le ton était donné. Comme d’autres, elle ne me croyait pas et avait sans doute été séduite par les beaux discours de mon père. Mes parents étaient visiblement trop bien habillés pour avoir osé maltraiter leur fille ».

Pendant plusieurs années, elle sera trimbalée de foyers en familles d’accueil, avec interdiction de garder le moindre contact avec un membre de sa famille. A chaque fois qu’elle commence à se sentir bien quelque part, une assistante sociale débarque et l’emmène ailleurs. La dernière année, elle se retrouve très loin de son lycée. « Mon lycée était très loin. J’étais obligée de me lever à 4h30 du matin de manière à être sortie du foyer à 5h. Impossible de prendre un petit déjeuner avant de partir : les cuisines étaient fermées. […] J’arrivais à 21h pour trouver encore une fois les cuisines fermées. Outre la cantine du midi à laquelle j’étais inscrite, je ne mangeais plus que des pommes, faciles à transporter. Inutile de dire que cela n’arrangeait pas ma maigreur ».

Même si cela semble paradoxal, tant son parcours résume les pires défaillances de l’aide sociale à l’enfance, Céline Raphaël dit que son placement lui a « sauvé la vie ». Pour elle, c’est bien la preuve que même un placement désastreux peut être préférable à un maintien auprès de parents dangereux. Qu’il faut arrêter le dogme de la famille à tout prix, aussi infondé que le dogme inverse. Examiner les situations au cas par cas. « J’étais en train de mourir. Je pesais 31 kilos. Mon père avait failli me tuer. J’avais envie de me tuer ».

Son père, qui a toujours nié malgré les preuves, a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende. Sa mère reste sous l’emprise psychologique de son mari : « Elle a une grande admiration pour mon père et ne vit que pour lui ». Lorsque Céline a annoncé la sortie prochaine de son livre, sa mère s’est mise à pleurer : « C’est terrible. Comment ton père va vivre ça ? »

Un récit bouleversant, qui montre encore une fois que la maltraitance a lieu à toutes les époques et dans tous les milieux.

Céline Raphaël, aujourd’hui médecin, se bat contre la maltraitance des enfants. Elle l’explique dans une interview : « Je me suis promis que si je parvenais à réaliser mon rêve de faire des études de médecine, je consacrerai une partie de ma vie à me battre contre la maltraitance faite aux enfants dans l’espoir d’éviter à d’autres de vivre ce que j’avais vécu en dénonçant les nombreuses failles du système et en essayant de proposer des solutions pour améliorer les choses ». Elle précise qu’elle n’a pas sorti ce livre pour « régler ses comptes », mais bien pour « ouvrir les yeux et délier les langues sur la maltraitance, un phénomène largement sous-estimé ».

Concluons avec la dernière phrase du livre de Céline Raphaël, en forme de vœu : « J’espère que ce livre aura fait comprendre que le mal n’est pas toujours criant ou manifeste pour des regards étrangers. Souvent les bourreaux paraissent respectables et les victimes se taisent. A présent, vous saurez mieux entendre la petite voix qui appelle au secours, la petite musique de la souffrance cachée ».